Amokrane Azouza, fils de Saïda Neghza, emprisonnée par le pouvoir algérien :
« Tebboune nous a trahi comme il a trahi le peuple algérien ! »
Saïda Neghza incarnait un parcours exceptionnel dans « l’Algérie nouvelle » promise par Abdelmadjid Tebboune : celui d’une femme issue d’un milieu modeste, bâtissant son empire dans les affaires, brisant les plafonds de verre en accédant aux plus hautes responsabilités du patronat, puis se lançant dans la sphère politique. Son franc-parler et ses oppositions assumées l’ont rapprochée de la reconnaissance internationale, mais aussi d’un affrontement frontal avec les structures du pouvoir économique et politique. Sa trajectoire s’est achevée brutalement à travers une affaire judiciaire lourde, fruit d’un procès profondément lié à son engagement politique. Condamnée à quatre ans de prison ferme par la justice algérienne, Saïda Neghza avait décidé de s’opposer au régime de Abdelmadjid Tebboune en tentant de se présenter à l’élection présidentielle de septembre 2024. Autrefois proche de l’autocrate algérien, qu’elle décrivait comme un « ami », ceux qui la connaissent soulignent que son caractère direct et entier l’a probablement amenée à faire preuve de naïveté politique. Atteinte d’une tumeur au cerveau et victime de deux AVC, elle a été malgré tout emprisonnée. Aujourd’hui, son fils, un homme d’affaires installé au Sénégal, tente de sensibiliser l’opinion publique algérienne et internationale sur cette affaire, manifestement une nouvelle injustice dans le royaume de Tebboune, qui montre l’étendue de la dérive du régime algérien. Amokrane Azouza, fils aîné de Saïda Neghza et premier soutien de sa mère, a répondu à nos questions sans détours.
Interview réalisée par Mohamed Sifaoui
Publié le 25 juillet 2025

"Saïda Neghza allait être candidate (à l'élection présidentielle de 2024, ndlr), mais on l’en a empêchée alors qu’elle avait les signatures."
Pour commencer, quelle est la situation de votre mère aujourd’hui ?
Elle est toujours en prison, elle est malade. Nous avons fait, à travers notre avocat, un signalement auprès de la direction de la prison pour qu’elle puisse être soignée pour la tumeur cancéreuse qu’elle a à la tête. Nous n’avons eu aucun retour jusqu’à présent. Je tiens à rappeler que son cancer s’était déclaré en 2017, elle l’avait soigné, mais elle doit être suivie. De plus, pendant la procédure judiciaire, totalement arbitraire, elle a fait deux AVC qui l’ont beaucoup affaiblie. Elle est en état de choc, elle se déplace en fauteuil roulant. Malgré la situation terrible qu’elle vit, elle demeure combative. Ma mère est une battante qui ne lâchera rien. Et je suis là pour la soutenir.
Sa condamnation à quatre années de prison ferme a été prononcée en appel. Qu’avez-vous l’intention de faire ?
Concrètement, sur le plan juridique, nous n’avons plus aucun recours. Nous avons introduit un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, mais je ne pense pas qu’il en résultera quoi que ce soit. Vous savez, il s’agit d’une décision politique. On peut multiplier les démarches juridiques, il n’en sortira rien. Ce qu’il nous reste, c’est la médiatisation et la saisine des instances internationales. En Algérie, il n’y a plus rien à espérer. On ne nous laisse pas le choix. Toutes les voies de recours ont été épuisées. Ils ont décidé de l’emprisonner sur décision politique. Mais nous irons jusqu’au bout pour faire connaître cette injustice dont se rend coupable le régime d’Abdelmadjid Tebboune qui applique « la justice du téléphone ».
Vous avez décidé de prendre la parole. Depuis quelques jours, vous publiez des vidéos sur les réseaux sociaux pour dénoncer le pouvoir algérien, notamment Abdelmadjid Tebboune. Des représentants du pouvoir sont-ils entrés en contact avec vous ?
J’ai des contacts. Plusieurs personnes m’appellent et me disent : « Il faut aller doucement, ça va se régler… » Ils cherchent à me faire taire et à gagner du temps. C’est comme ça depuis le début. Ils veulent nous endormir pour faire oublier le sort de ma mère.
Pour revenir à l’affaire, quels étaient les liens de Saïda Neghza avec Abdelmadjid Tebboune ? C’était une amitié ou une relation politique ? Pourquoi l’avait-elle soutenu ?
Elle l’a connu quand il était ministre de l’Habitat. Elle avait pris la direction du syndicat patronal, la Confédération générale des entreprises algériennes, la CGEA. La majorité des entreprises de ce syndicat étaient dans le secteur du BTP. Par conséquent, elle avait des liens avec Abdelmadjid Tebboune, alors ministre de tutelle. Au début, leurs relations étaient conviviales, puis elles sont devenues très amicales. Nous étions entre 2013 et 2014. Je pense qu’il admirait son côté fonceur et son franc-parler. Elle allait le voir pour régler les problèmes, notamment bureaucratiques, rencontrés par les sociétés du BTP qu’elle représentait. Elle était totalement investie dans sa mission de première responsable du patronat et, d’ailleurs, je puis vous assurer qu’elle réglait les problèmes des autres entreprises, jamais les siens.
Ensuite, en 2017, lorsque Abdelmadjid Tebboune — vous vous en souvenez — avait pris position contre Ali Haddad et les oligarques proches de Saïd Bouteflika, elle a vu s’accentuer les problèmes qu’elle avait déjà, depuis 2014, avec certains cercles du pouvoir de l’époque. Ces derniers voulaient faire payer à ma mère son entente avec Tebboune, et surtout le fait qu’elle le soutenait. Saïd Bouteflika, Ali Haddad et d’autres sont devenus des ennemis communs pour ma mère et pour Abdelmadjid Tebboune.
Quels types de problèmes Saïda Neghza avait-elle avec le clan de Saïd Bouteflika ? Et pourquoi les critiquait-elle ?
Il y avait de profondes divergences entre elle et le pouvoir de l’époque, car celui-ci voulait céder des entreprises publiques florissantes au dinar symbolique. Parfois, il s’agissait d’entreprises possédant un important patrimoine foncier et valant plusieurs milliards de centimes en dinars algériens. Sous l’impulsion de Bouteflika, avec la complicité de quelques oligarques, ces entreprises étaient vendues à des privés du même clan, à un prix dérisoire. Ma mère, Saïda Neghza, qui a toujours été une femme d’honneur et de courage, a dénoncé cet état de fait. Il nous semblait important de critiquer cette situation anormale qui pénalisait l’économie algérienne.
Ma mère a lancé, en tant que représentante du patronat, une véritable guerre à Ali Haddad, qui était l’un des acteurs de ces magouilles. C’est à partir de là qu’elle et Abdelmadjid Tebboune sont devenus des alliés politiques. Au début, naïvement, elle avait cru en lui, pensant qu’il était à la fois honnête et compétent. Leur relation est devenue amicale. Lui était méprisé et isolé au sein du système ; il avait besoin d’alliés, surtout après son limogeage du poste de Premier ministre. Ali Haddad et Saïd Bouteflika s’étaient juré d’avoir sa peau, de l’emprisonner et même de le faire tuer s’il le fallait. Ali Haddad le menaçait publiquement. Il était devenu un pestiféré. Plus personne ne lui parlait, de peur de fâcher ceux qui étaient puissants à cette époque-là. Ma mère lui a tendu la main. Elle croyait que c’était un homme d’honneur. On se rend compte aujourd’hui que nous nous sommes lourdement trompés sur son compte.
Pourquoi votre mère, et vous-même d’ailleurs, aviez-vous misé sur lui ? Il n’était pas connu pour être un « foudre de guerre ». Il traîne une réputation de malhonnêteté et d’incompétence, et a toujours été limogé pour insuffisance professionnelle…
Oui, il n’était pas connu pour être un responsable politique de premier plan. Il n’était pas un grand militant. Mais à l’époque, des personnes nous parlaient de lui, y compris des officiers de l’armée, en louant ses qualités supposées. Rappelez-vous : il n’y avait pas beaucoup de responsables politiques qui pouvaient incarner l’espoir. Le règne de Bouteflika avait créé un vide total. Le simple fait que Tebboune se soit opposé au clan mafieux autour d’Ali Haddad a suffi à nous faire croire qu’il était courageux et honnête. C’est ainsi qu’il a gagné notre confiance. Son vrai visage s’est révélé plus tard. Ma mère l’avait tellement soutenu — et je le précise : de manière désintéressée — qu’il lui disait : « Arrête, ils vont te tuer ! » Il répétait cela régulièrement. Probablement pour la manipuler. C’est ce que je me dis avec le recul.
Justement, certaines personnes disent aujourd’hui que Saïda Neghza et ses fils ont soutenu Tebboune pour profiter à leur tour du système. À en croire ce qui se dit à Alger, vous auriez bénéficié, vous aussi, durant le premier mandat, de votre proximité avec Tebboune. Vos détracteurs affirment que vous vous plaignez maintenant parce que vous êtes vous-mêmes devenus victimes. Que répondez-vous à ces accusations ?
Je vais vous répondre clairement : nous n’avions aucun intérêt financier — mais vraiment aucun — à défendre Abdelmadjid Tebboune et à le soutenir lors de son premier mandat. Tout ce qu’a fait Saïda Neghza — et les courriers et archives sont là pour l’attester —, elle l’a fait pour les entreprises affiliées à son syndicat, pour le bien de l’économie algérienne et, évidemment, pour le peuple algérien. Je mets au défi quiconque de prouver que nous aurions tiré un profit personnel de notre proximité passée avec Abdelmadjid Tebboune. Je peux produire tous les documents qui le prouvent. Nous n’avons jamais bénéficié d’un quelconque marché public, et nous n’avons pas eu de passe-droits pour nos entreprises.
Quand ma mère intervenait auprès du président, elle ne le faisait jamais pour ses propres sociétés, mais pour d’autres, confrontées à des blocages, notamment administratifs. Et quand je dis « jamais », c’est vraiment jamais.
Concernant le soutien apporté à Abdelmadjid Tebboune, les choses sont très simples : nous sommes des patriotes, nous aimons notre pays et nous avons cru — je me répète — qu’il était l’homme de la situation. Ma mère voulait un vrai changement, dans une perspective d’évolution de l’Algérie et de son économie. Elle pensait qu’il était compétent et honnête. Nous nous sommes trompés, car il nous a trompés. Il nous a trahis, comme il a trahi tous les Algériens.
Au début, nous étions un peu dans le déni. On voyait que les choses empiraient, mais on se disait : « Ce n’est pas lui, c’est son entourage. » À chaque fois, on lui trouvait des excuses, des circonstances atténuantes. On a même pensé que des cercles à l’intérieur du système lui mettaient des bâtons dans les roues. Finalement, vers la fin du premier mandat, on s’est rendu compte qu’il était en vérité la principale source de tous les problèmes.
À quoi attribuez-vous ce changement ? Beaucoup disent qu’il y avait un « avant » et un « après ». Certains affirment que le pouvoir a littéralement rendu Abdelmadjid Tebboune fou. Croyez-vous à cette hypothèse ?
Je vous confirme qu’il a commencé à changer entre 2022 et 2023. Il a commencé à faire n’importe quoi, à agir en dictateur.
Avec Saïda Neghza, le point de rupture est survenu lorsqu’il a demandé à deux de ses conseillers — Boualem Boualem (actuel directeur de cabinet) et Abdelhafid Allahoum — de favoriser la création d’un syndicat patronal concurrent à celui de ma mère. Ils ont parachuté un certain Karim Moula, un chef d’entreprise qu’ils utilisent à leur guise, comme une marionnette.
À leurs yeux, ma mère était une femme trop libre, trop indépendante. Tebboune et son clan n’aimaient pas cela. Ma mère peut être une partenaire dans une politique au service du pays, mais elle ne sera jamais un outil entre les mains d’un clan mafieux — et encore moins une complice d’agissements illégaux.
Pendant ce temps, Saïda Neghza dénonçait une bureaucratie paralysante et une politique qui pénalisait les entreprises, les empêchant de générer des richesses et de créer de l’emploi. Le pouvoir lui-même sabotait les PME.
En septembre 2023, ma mère a décidé d’écrire une lettre au président pour le mettre face à ses responsabilités. Lui et son entourage n’ont pas supporté cette démarche, et ils ont commencé à la marginaliser.
On a retrouvé cette lettre, adressée au chef de l’État, d’abord entre les mains d’un islamiste, Abdelkader Bengrina — allié de Tebboune —, puis elle a été divulguée sur les réseaux sociaux. C’est dire leur manque de sérieux. Il est anormal de retrouver, entre les mains d’un tiers, une lettre destinée au président. C’est à partir de là qu’elle a commencé à recevoir des menaces. Et dès ce moment, nous n’avons plus eu aucun contact avec la présidence. Coupure définitive.
Ces événements ont eu lieu un an avant la présidentielle. À quel moment a-t-elle décidé de se porter candidate à l’élection de 2024 ?
À partir des événements que je viens de vous relater, nous avons compris que Tebboune était une erreur de casting. Nous étions tous d’accord : il fallait le combattre démocratiquement. Or, lui n’accepte pas la démocratie.
Et vous n’avez pas évalué les conséquences ? Vous connaissez pourtant la nature du régime, vous n’êtes pas naïfs…
Non, c’est justement ça, le problème. Nous connaissons le régime, mais jamais nous n’aurions imaginé qu’il atteindrait un tel niveau d’ignominie. On pouvait s’attendre à des pressions, à des entraves administratives, à des blocages de toutes sortes — mais pas à cette ampleur.
Saïda Neghza allait être candidate, mais on l’en a empêchée alors qu’elle avait les signatures. Et malgré les accusations mensongères, je tiens à dire qu’elle les avait obtenues légalement, car elle est très populaire, dans tout le pays, y compris auprès de nombreux élus.
Nous ne pensions pas que Tebboune allait se venger en montant, avec son entourage, une cabale aussi violente en instrumentalisant la justice. Moi-même, j’ai fait beaucoup de campagnes électorales par le passé. J’avais soutenu notamment l’ancien Premier ministre Ali Benflis.
C’est vrai : on te bloque, on te dit « Lui, c’est l’homme d’untel, donc je ne l’aide pas ». Il y a parfois des blocages, souvent à cause de l’excès de zèle de certains commis de l’État. Bref, on s’attendait à tout… sauf à cela.
Et je veux le dire clairement : il n’y a rien de vrai dans ces accusations. Tout est bidon. Il n’y a que des mensonges. Ils nous ont fait du chantage. Ceux qui ont accordé des signatures à ma mère ont subi de terribles pressions. Je ne veux même pas évoquer l’ampleur de ces pressions pour l’instant, car certaines choses sont réservées pour plus tard — et pour les organisations internationales.
Concrètement, qu’allez-vous faire maintenant ?
Je vais, comme je vous l’ai déjà dit, saisir les instances internationales pour dénoncer cette injustice. Je suis entré en contact avec des ONG, avec des médias internationaux, et je suis en train de constituer un panel d’avocats pour porter cette affaire le plus loin possible, y compris au sein des instances de l’ONU.
Ma mère était liée à plusieurs organisations internationales en tant que responsable d’un syndicat de chefs d’entreprises. Ce régime doit comprendre que je vais consacrer ma vie à défendre ma mère, à défendre l’honneur de notre famille, et à rétablir la justice.
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