L’islamisme n’est pas “Charlie”

Dès le 8 Janvier 2015, au lendemain du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo et durant plusieurs semaines, Tariq Ramadan enchaîne les plateaux télé et les radios pour marteler son message : il n’est pas Charlie ; Charlie Hebdo stigmatise “systématiquement” les musulmans et pratique un humour de “lâches”.

Par Naëm Bestandji

Publié le 7 janvier 2025

L’islamisme n’est pas “Charlie”

De nombreux militants islamistes français avaient choisi cette image pour photo de profil sur les réseaux sociaux en janvier 2015.

Qu’est-ce qu’être “Charlie” ?

À l’époque, et aujourd’hui encore, tout le monde n’était pas “Charlie”. Déclarer ne pas être “Charlie Hebdo” est compréhensible. Nul n’est obligé d’aimer ce journal. Mais refuser d’être “Charlie” est différent. “Je suis Charlie” est une réaction pacifiste aux attentats qui ont non seulement touché la France mais aussi et surtout nos valeurs fondamentales. Être “Charlie” est un hymne à la liberté d’expression, à l’humanisme, et le refus que cette liberté soit censurée par un retour du délit de blasphème. C’est la volonté de rassembler, quelles que soient nos origines, notre (non)religion ou nos opinions, contre l’obscurantisme et la barbarie. Cela définit le refus de réagir par la violence, la volonté de répondre par la fraternité avec pour seules armes la démocratie et quelques crayons. C’est pour cela qu’on ne peut pas être Charlie Hebdo, Charb, Hamed ou Cabu en particulier. On est Charlie en général.

Cette période de commémoration doit faire œuvre de devoir de mémoire, notamment sur l’opportunisme et le cynisme d’une bonne part des islamistes face au traumatisme national.

Un “humour de lâches”, selon Tariq Ramadan

Comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), idéologiquement la branche juridique des Frères musulmans, Tariq Ramadan prononce la condamnation d’usage des attentats pour embrayer directement sur l’offense à l’islam (“islamophobie”) dont serait coupable Charlie Hebdo. Cette offense à cette religion blesserait les musulmans. Ces derniers seraient alors des victimes. C’est le retour du blasphème. Ainsi, selon les islamistes, la France s’émeut des morts des 7, 8 et 9 janvier, mais elle serait indifférente aux victimes de “l’islamophobie”. Pour crédibiliser leur discours, les militants politiques de l’islamisme fusionnent les cas de discriminations et propos anti-musulmans (ils existent et sont condamnables par la loi) avec les propos offensant l’islam et même la lutte contre l’islamisme. C’est la stratégie victimaire. L’ensemble des musulmans sert de bouclier politique. Cet opportunisme reste froid aux évènements. Il agit donc aussi, et même surtout, en janvier 2015. Tariq Ramadan en fait une brillante démonstration, le 8 janvier sur RTS (Radio télévision Suisse) : “Au-delà de la condamnation, on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas des frustrations, il n’y avait pas parfois le sentiment qu’il y a des condamnations à géométrie variable selon les victimes. Il y a quelque chose qui est factuellement vrai aujourd’hui, une normalisation du discours islamophobe, une normalisation de la stigmatisation des musulmans à travers l’Europe.”

À la question “Est-ce que vous, vous dites “je suis Charlie””? Tariq Ramadan répond “Non, je ne dis pas “je suis Charlie”. Je dis “je suis pour la liberté d’expression, vous avez le droit d’aller jusqu’au bout”. Mais je me suis exprimé par rapport à Charb, quand j’ai débattu avec lui, en disant combien je trouvais que cette stigmatisation à géométrie variable n’était pas bonne. L’humour sur les musulmans est un humour de lâches. Donc je suis pour le principe de la liberté d’expression. Je ne suis pas pour son usage lâche. […] Je ne vais pas aller cautionner des attitudes qui parfois n’étaient pas très bienveillantes, pas très courageuses et en dessous de tout et parfois assez vulgaires ». Dit autrement, il est pour la liberté d’expression… sauf si cela offense l’islam. À travers son double discours, c’est sa manière d’exprimer son opposition à la liberté d’expression en laissant croire qu’il la défend.

Le 28 janvier, sur Europe 1, il accuse Charlie Hebdo de “stigmatiser systématiquement la même communauté. Cette façon de stigmatiser la communauté musulmane, c’est un bon marché et c’est lâche”. Tariq Ramadan martèle cette supposée stigmatisation systématique des musulmans par le journal. Or, il ment. Selon le journal Le Monde, qui a mené une “étude rigoureuse” des unes de Charlie Hebdo entre 2005 et 2015 (la première affaire des caricatures de “Mahomet” date de 2006), seulement 1,7% des unes du journal satirique étaient consacrées à l’islam. “Si obsession il y avait, celle-ci était plutôt dirigée vers des hommes politiques français, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy et, dans une moindre mesure, les Le Pen et François Hollande. Quant à certaines des “unes” les plus virulentes, on peut considérer qu’”elles sont dirigées contre l’extrême droite française et la religion catholique”, précise cet article du Monde du 23 février 2015. Pourtant, Tariq Ramadan martèle toujours ce même mensonge, indispensable à la stratégie victimaire.

Enfin, pointer la lâcheté d’un journal dont les locaux ont été incendiés en novembre 2011 en raison de son “islamophobie”, et dont les salariés sous protection policière depuis des années ont fini criblés de balles par des djihadistes, montre le mépris de Tariq Ramadan pour ces personnes et, plus largement, pour la liberté d’expression.

“N’oubliez jamais que c’est Charlie Hebdo qui a dégainé le 1er…”

Tariq Ramadan était la vitrine (plus ou moins) acceptable de l’islamisme politique. Les militants de base n’avaient pas besoin de faire preuve d’autant de précautions. C’est le cas, par exemple, de Taous Hammouti. Le 9 janvier 2015, deux jours seulement après le massacre à Charlie Hebdo, le jour même de la prise d’otage à l’Hyper Cacher, elle publie (comme d’autres) une image de flammes avec pour texte visible : “N’oubliez jamais que c’est Charlie Hebdo qui a dégainé le 1er…”. En dessous de ce texte sont disposés quelques dessins du journal qui se moquent de l’islam. Ainsi, alors même que les corps des victimes n’étaient pas enterrés, que les terroristes couraient toujours, qu’une prise d’otage avait lieu et que le pays était tétanisé, Taous Hammouti affichait son indifférence et son mépris en affirmant que des traits de crayon irrévérencieux envers l’islam sont équivalents à des tirs de Kalachnikov et méritent la peine de mort. Charlie Hebdo serait responsable de son massacre.

Elle ne marque pas la même indifférence lorsqu’il s’agit d’illustres islamistes. Sur Facebook, elle manifeste son soutien aux Frères Hani et Tariq Ramadan, petits-fils du fondateur de la confrérie des Frères musulmans et transmetteurs de l’idéologie de leur grand-père. Elle soutient notamment Hani Ramadan suite à son expulsion du territoire en raison de sa radicalité. Elle n’est pas “Charlie”, mais elle affiche en revanche une image “Je suis Tariq Ramadan” pour soutenir le prédicateur en créant une cagnotte en novembre 2017.

Si elle ne manifeste aucune empathie concernant le massacre de la rédaction du journal, elle est particulièrement touchée par l’annonce du décès de Mohamed Morsi. Il était l’un des leaders politiques des Frères musulmans égyptiens, pays d’origine et centre idéologique de la confrérie. Décédé en juin 2019, il est le seul Frère musulman à avoir été élu président de la République. Taous Hammouti portera son deuil en remplaçant son image de profil Facebook par une photo du défunt avec une formule de condoléances en bandeau. Militante pour la misogynie islamiste, elle intègre entre temps une association d’extrême gauche, Alliance citoyenne, pour lancer en mai 2019 les actions burqini dans les piscines municipales de Grenoble, puis les “Hijabeuses” pour imposer l’islamisme et le sexisme du voilement des femmes dans le football.

Depuis 2015, l’esprit “Charlie” s’est éteint

Alliance citoyenne n’a jamais renié Taous Hammouti, bien au contraire. Cette association et ses actions sont également défendues par une frange de la gauche. La lutte contre l’offense à l’islam (“islamophobie”) a progressé et la liberté d’expression a reculé depuis 2015, grâce aux actions de prédicateurs tels que Tariq Ramadan, d’associations comme le CCIF et de militants comme Taous Hammouti. Les attentats djihadistes ne sont qu’un marchepied à l’islamisme politique.

L’islamisme djihadiste et l’islamisme politique sont complémentaires. Mais c’est bien l’islamisme politique qui représente la plus grande menace à travers sa stratégie victimaire. Il a su rallier une partie de la société dont une frange perdue de la gauche. L’exemple le plus flagrant est le revirement total de Jean-Luc Mélenchon. Il lutte aujourd’hui contre “l’islamophobie” alors qu’il défendait hier l’idée de pouvoir être “islamophobe”. L’étiolement de “l’esprit Charlie”, en est une des conséquences. Dix ans ont montré que, à moyen terme, les traits de crayon sont moins efficaces que les tirs de Kalachnikov. Mais l’histoire nous prouve aussi que, à long terme, les crayons sont les armes les plus redoutables.

N. B.

Envie de lire tous les articles ?

Débloquez immédiatement tous les articles. Sans engagement.

Abonnement

Débloquez immédiatement tous les articles.

Je m'abonne

Newsletter

Recevez chaque semaine les titres à la Une

Inscrivez-vous