Hassan Chalghoumi

L’imam iconoclaste

Dans les quartiers populaires et dans les mosquées, y compris “modérés”, l’on moque son accent “blédard”. Probablement qu’il rappelle à ses détracteurs la façon de parler de leurs propres parents ou grands-parents. D’autres le vilipendent parce qu’il a le malheur de dénoncer l’antisémitisme quand certains responsables politiques – regardez du côté de Jean-Luc Mélenchon – préfèrent se compromettre, au nom de “l’antisionisme”, nouvel avatar de la stigmatisation du juif, avec les milieux des plus acariâtres.

Par Mohamed Sifaoui

Publié le 16 octobre 2024

L’imam iconoclaste

Hassan Chalghoumi, franco-tunisien de 52 ans, est devenu incontestablement une figure emblématique dans le paysage musulman hexagonal. Après une formation théologique suivie, tour à tour, en Inde et au Pakistan, celui qui appartient à une génération largement impactée par l’islam politique, a choisi, car il a su penser contre lui-même, de suivre les voies d’un islam spirituel et mystique, plus proche des écoles soufies que de la confrérie extrémiste des Frères musulmans.

Devenu imam au début des années 2000, il s’installe à Drancy, en Seine Saint-Denis, où il comprend très vite, dit-il, que des “choses graves”, se sont passées dans cette ville durant la Collaboration. C’est le wagon, installé pour le souvenir, à l’entrée de la cité de la Muette, qui l’a amené à réfléchir et à se documenter sur le supplice des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi qu’il a compris la réalité de la Shoah. Un événement totalement occulté dans les cours d’histoire prodigués dans les pays du Maghreb. La démarche de l’imam représente un “sacrilège” dans les milieux de la bigoterie islamique, plus enclins à accorder du crédit aux thèses conspirationnistes ou négationnistes qu’au travail de mémoire.

Il attaque les islamistes frontalement, il fustige notamment les Frères musulmans et critique la politique qatarie, le Qatar étant le principal sponsor des tenants de l’islam politique.

Depuis, Chalghoumi est devenue une sorte de bouc émissaire des milieux islamistes. Les accusations et les railleries fusent, avec comme objectif discréditer sa parole notamment auprès de la jeunesse. “Imam des juifs”, “rabbin des musulmans”, “vendu”, “traître”, “l’imam blédard”, tous les sobriquets sont mobilisés pour l’éjecter du débat public. Les habituelles lâchetés collectives feront le reste. Certes, il n’a pas choisi la voie la plus simple. Ni la plus diplomatique. Il attaque les islamistes frontalement, il fustige notamment les Frères musulmans et critique la politique qatarie, le Qatar étant le principal sponsor des tenants de l’islam politique. L’homme ne fait pas de politique, il ne tourne pas autour du pot. “J’ai toujours parlé avec mon cœur”, dit-il pour expliquer la spontanéité et la naïveté qu’il assume. “Je suis imam et je prône la paix en défendant les valeurs de la République. Je ne suis pas là pour calculer”, dit-il encore pour mieux écarter d’un revers de main les attaques de ses nombreux détracteurs.

S’engager publiquement contre l’islamisme et l’antisémitisme n’est pas une sinécure. D’abord, c’est son domicile qui est mis à sac, heureusement en l’absence de sa famille. “Ce jour-là, ma femme était à l’extérieur et mes enfants étaient à l’école”, se souvient-il avec émotion. Ensuite, les menaces de mort ont commencé à pleuvoir. Ce qui a justifié son placement sous protection policière permanente. Le seul imam en France – probablement au monde – obligé de faire son prêche avec un gilet pare-balles. Comme souvent, dans l’indifférence générale. Car celui qui se bat pour la République, pour les Français juifs, pour l’égalité hommes/femmes, pour toutes les formes d’intolérance est, comme souvent, un homme seul. Il a été obligé de faire face à une agression physique devant ses enfants qui ont connu, à ce moment-là, un vrai traumatisme.

Pour que sa femme – Française – et que ses enfants – tout aussi Français – puissent avoir une vie “normale”, il a été obligé de les installer à l’étranger, dans un pays musulman. Aux Émirats arabes unis. Là où, désormais, un pourfendeur de l’islamisme qui dénonce l’antisémitisme craint beaucoup moins pour sa sécurité que dans n’importe quelle capitale occidentale.

Les menaces ont atteint leur paroxysme quand il fut obligé de faire expatrier sa famille. Une défaite pour la République. Une victoire pour l’islam politique qui, lorsqu’il ne tue pas, sait faire taire ses adversaires par la pression et la terreur intellectuelle, voire par les procédés de disqualification.
Pour que sa femme – Française – et que ses enfants – tout aussi Français – puissent avoir une vie “normale”, il a été obligé de les installer à l’étranger, dans un pays musulman. Aux Émirats arabes unis. Là où, désormais, un pourfendeur de l’islamisme qui dénonce l’antisémitisme craint beaucoup moins pour sa sécurité que dans n’importe quelle capitale occidentale. Un comble !
L’imam s’étonne encore que ceux qui menacent la République et ses principes sont libres alors que lui est obligé d’être encadré en permanence par une protection policière.

Chalghoumi n’a pas choisi une voie simple. Un parcours, marqué par le dialogue interreligieux et la lutte contre l’extrémisme, qui tranche avec les logiques conflictuelles et les discours victimaires prônés par la majorité des chapelles musulmanes. Résultat : même les plus “modérés”, généralement liés à des puissances étrangères peu démocratiques, n’aiment pas ce religieux jugé “trop proche des juifs”. Oui, il a eu le malheur d’oser inviter des rabbins lors de diners organisés durant le mois de Ramadan. Événement qu’il reproduit désormais depuis une dizaine d’années. Mais ce n’est pas tout.

Il fait partie de ceux qui pensent que la “cause palestinienne” ne saurait être portée par les tueurs fanatisés du Hamas ou du Hezbollah.

“Trop proche des juifs” parce qu’il a osé condamner clairement l’antisémitisme quand d’autres mosquées proches des salafistes ou des Frères musulmans le propagent plus ou moins ouvertement quand ils ne s’en accommodent pas. “Trop lié à Israël” parce qu’il fait partie de ceux qui pensent que la “cause palestinienne” ne saurait être portée par les tueurs fanatisés du Hamas ou du Hezbollah, marionnettes des mollahs iraniens. Depuis plusieurs années, il n’est pas acceptable, aux yeux de beaucoup, de voir un imam défendre, au nom de l’islam, la sécurité d’Israël et celle des juifs. Il a refusé ce déterminisme et il assume donc d’en payer le prix. Au quotidien. Mais, à la vérité, tout ceci est grave pour la République. Cela est grave pour toutes ces démocraties qui ne savent plus assumer ce qu’elles sont.

L’une des caractéristiques de l’action de Hassan Chalghoumi est sa rencontre avec “l’Autre”. On connait sa dénonciation de l’antisémitisme. Mais on connait moins son respect de la liberté de conscience. Il fait partie de ces rares imams qui se refusent de juger. Il respecte le laïc et l’athée de la même manière qu’il discute avec le rabbin et le prêtre. Pourtant, malgré cette ouverture d’esprit, certains continuent de sursauter ou de ricaner à l’évocation de son nom, comme s’il fallait s’inscrire dans une attitude mimétique pour être crédible. Et alors que l’homme se refuse de parler au nom de qui que ce soit, sinon de sa vision de l’islam, il y a toujours quelqu’un se réclamant de la religion musulmane pour dire “il ne nous représente pas bien !”. Remarque que l’on entend très peu lorsqu’on évoque le nom d’un imam extrémiste.

A vrai dire, il est logique de voir les islamistes l’accuser d’être un “traitre” et un “apostat”, sinon nul ne les combattrait. Cet imam iconoclaste représente tout ce qu’ils ne veulent pas voir, tout ce qu’ils veulent effacer.

Il s’agit d’une figure désormais nécessaire dans le débat français. Surtout face au désert que nous offrent les différentes “institutions musulmanes”, considérées comme “partenaires de l’État”.

Il est une sorte d’anomalie dans la médiocrité islamique qui se laisse complaisamment phagocyter par les pensées islamistes, souvent par lâcheté. Cela dit, il est anormal de voir que parmi ses détracteurs – parfois acharnés – il y a certains qui prétendent honnir les islamistes. Probablement que quelques-uns aimeraient qu’il n’y ait personne pour représenter une parole équilibrée et républicaine. Allez expliquer au nom de quelle logique un militant de la France insoumise – qui prétend “défendre les musulmans” – est souvent indulgent à l’égard des imams qui portent le projet islamiste et toujours critique à l’égard de Chalghoumi. Celui-ci subit régulièrement des campagnes de délégitimation orchestrées par des détracteurs, qui cherchent manifestement à l’écarter du débat public.

Mais malgré ces pressions, le religieux poursuit son chemin avouant souvent ne pas savoir où aller tant les alliances et les soutiens se font rares. Certains estiment qu’il est “trop démonétisé” alors que, soi-dit en passant, ils n’ont rien fait pour l’aider à consolider sa légitimité. Certes, son français approximatif peut agacer, a fortiori dans un pays où l’on aime l’accent anglais, italien ou espagnol, mais où l’on ne supporte pas, dans l’imaginaire collectif, l’accent arabe. Toujours est-il que ses connaissances théologiques sont solides, que son argumentation et les principes dont il se réclame sont toujours conformes aux valeurs universelles. Même ses “alliés” veulent le condamner pour la forme, sans prêter attention au fond de son propos. Dommage, car quoi qu’on en dise, il s’agit d’une figure désormais nécessaire dans le débat français. Surtout face au désert que nous offrent les différentes “institutions musulmanes”, considérées comme “partenaires de l’État”.

M. S.

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