Mohamed Sifaoui dans un entretien accordé à Rupture :
“Le 7-Octobre a été un révélateur de salauds”
Le journaliste et essayiste Mohamed Sifaoui, qui a écrit récemment un livre sur le Hamas, paru le 21 août 2024 sous le titre “Hamas, Plongée au cœur du groupe terroriste”, a accordé à Rupture l’entretien qui va suivre et dans lequel il a bien voulu répondre à nos questions sur cette période de crise, de troubles multiformes que connaît, depuis le 7 octobre 2023, le Moyen-Orient et qui touche la France, l’Europe, l’Occident, le monde. Mohamed Sifaoui est un spécialiste connu et reconnu de l’islamisme et du djihadisme, sur lesquels il travaille depuis une trentaine d’années et auxquels il a consacré de nombreux ouvrages.
Par Mohamed Sifaoui
Publié le 15 octobre 2024
Entretien réalisé par Karim Maloum
Rupture : Le 7 octobre, le Hamas a humilié Israël dont l’inviolabilité du territoire a été démystifiée.
Comment expliquez-vous qu’une pareille attaque, d’envergure, ait pu avoir lieu sur le sol israélien ?
Mohamed Sifaoui : Nous savons depuis très longtemps qu’aucun système au monde n’est infaillible face au terrorisme islamiste qui inscrit son action dans une triple logique de guerre asymétrique, de guerre d’usure et de guerre sur le long terme.
Les Israéliens sauront tirer tous les enseignements, lorsqu’après le conflit en cours, ils mettront en place une commission d’enquête.
Les Israéliens ont péché par un excès d’assurance. Ils pensaient que leur système de surveillance électronique et le “dôme de fer” suffiraient à faire face à des attaques des organisations terroristes. D’un autre côté, le Hamas et les autres factions ont choisi une période de fêtes religieuses sur fond de division au sein de la société israélienne pour agir. Je crois néanmoins que les Israéliens sauront tirer tous les enseignements, lorsqu’après le conflit en cours, ils mettront en place une commission d’enquête qui permettra de faire toute la lumière sur tous les dysfonctionnements qui ont permis au Hamas de réaliser les massacres du 7 octobre 2023.
Pensez-vous qu’aujourd’hui les islamistes peuvent frapper n’importe quel pays et à n’importe quel moment ?
La menace islamiste est réelle et elle vise tous les pays de la planète. Cette menace est protéiforme. Elle peut être le fait d’organisations sunnites comme Al-Qaïda, Daesh, voire Boko Haram, le MUJAO et les autres groupes qui sévissent en Afrique. Elle peut viser n’importe quel pays et n’importe quel continent. Par ailleurs, il y a les organisations satellitaires du régime iranien. Je pense aux Houthis au Yémen, mais surtout au Hezbollah et à ses différents relais en Irak et en Syrie. Depuis le 7 octobre, il y a une menace incarnée par le régime iranien.
Un candidat au jihad, d’origine algérienne, ayant eu un parcours dans le banditisme, a été recruté par les services iraniens pour réaliser visiblement des opérations contre des cibles israéliennes, voire peut-être juives de la diaspora aussi, à la fois en France et en Allemagne.
Les services de renseignement occidentaux savent que les Gardiens de la Révolution veulent atteindre des cibles israéliennes à travers des aspirants djihadistes recrutés localement. Récemment, une affaire est passée inaperçue. Un candidat au jihad, d’origine algérienne, ayant eu un parcours dans le banditisme, a été recruté par les services iraniens pour réaliser visiblement des opérations contre des cibles israéliennes, voire peut-être juives de la diaspora aussi, à la fois en France et en Allemagne. Il a été heureusement arrêté à temps. C’est un véritable risque d’autant plus que les Iraniens sont connus pour leur attrait pour le terrorisme d’État.
Peut-on comparer, selon vous, l’attaque du 7 octobre aux attaques du 11 septembre 2001 du point de vue des implications géostratégiques ?
Sur le plan symbolique et psychologique, le 7 octobre 2023 a eu, au sein de la société israélienne, le même impact qu’avaient eu les attentats du 11-Septembre sur les Américains. Avec une particularité : les ennemis d’Israël ne veulent pas uniquement “frapper” le territoire israélien et sa population, ils visent, comme nous le savons, la destruction de l’État d’Israël. Ce pays mène donc une guerre atypique. Elle est particulière, car il s’agit d’une guerre existentielle.
Les Libanais ont l’occasion d’écarter le Hezbollah du jeu politique.
S’agissant des implications, il est clair que les Israéliens sont obligés d’aller jusqu’au bout de leurs objectifs de guerre et ainsi détruire les capacités de nuisance du Hezbollah et détruire complètement le Hamas et le Jihad islamique afin qu’ils ne puissent plus sévir sur les plans militaires et politiques. Il appartiendra aux Français d’encadrer une évolution politique au Liban. De ce point de vue, les Libanais ont l’occasion d’écarter le Hezbollah du jeu politique, car ce groupe terroriste qui a asservi l’État libanais au seul profit des mollahs iraniens est très dangereux pour les Libanais eux-mêmes. Je pense que la situation va évoluer dans ce pays. Idem la destruction de la capacité de nuisance des Houthis est essentielle. D’une certaine manière, la communauté internationale a intérêt à soutenir et à accompagner les changements géostratégiques qui visent à dépouiller le régime iranien de ses différents proxys.
Comment analysez-vous la montée de l’antisémitisme à travers l’Europe occidentale et quelles en sont, d’après vous, les raisons, les motivations ?
Je vais vous dire les choses en toute franchise : je crois qu’une partie de cette vieille Europe n’a jamais vraiment soigné l’antisémitisme culturel qui gangrène plusieurs couches de ses sociétés.
Le conflit israélo-palestinien a toujours été un prétexte pour libérer la parole antisémite.
À cet antisémitisme très ancien qui ressurgit de temps à autre, s’est ajouté l’antisémitisme propagé par les milieux islamistes mais aussi par certains musulmans qui se disent “pro-palestiniens”. L’antisémitisme est certes un racisme qui vise les juifs. Mais en vérité, c’est surtout un indice qui illustre certaines sociétés lorsqu’elles sont malades. Et on voit malheureusement qu’une partie de la société occidentale est perméable au populisme, à la haine et à la xénophobie. Depuis plusieurs années, ces sociétés, dans différents milieux, ont été travaillées par l’antisémitisme de l’extrême droite d’abord, ensuite par l’antisémitisme des islamistes et enfin, depuis quelques années, par l’antisémitisme d’une certaine gauche et de l’extrême gauche. Le juif est la victime expiatoire et le bouc émissaire idéal lorsque surgissent des crises morales, politiques ou économiques. De ce point de vue, le conflit israélo-palestinien a toujours été un prétexte pour libérer la parole antisémite.
Pensez-vous que le 7 octobre est à même d’avoir des conséquences sur la démocratie et les libertés en France et en Europe ?
Je crois que le 7-Octobre a été un révélateur de “salauds”. Beaucoup de ceux qui sont antisémites, hostiles à la démocratie israélienne, favorables aux discours islamistes se sont alignés pour libérer un propos détestable.
J’ai effectué récemment un séjour à Bruxelles et j’ai pu mesurer les renoncements, les compromissions et les lâchetés des uns et des autres.
J’ai effectué récemment un séjour à Bruxelles et j’ai pu mesurer les renoncements, les compromissions et les lâchetés des uns et des autres. À mon modeste niveau, j’observe que mon livre a été littéralement boycotté en France par les médias (télé et radio) du service public. Alors que le livre est salué par tous ceux qui l’ont lu, alors qu’il s’agit d’un travail qui permet de mieux comprendre les fondements idéologiques, les visées et l’histoire du Hamas, certains médias estiment qu’il serait logique de le passer sous silence. Comme s’il était logique d’empêcher le grand public d’apprendre l’existence d’un livre qui leur permet de mieux connaitre une organisation terroriste. Je ne suis pas le seul à subir un tel ostracisme. Bien sûr qu’il s’agit d’une grave atteinte au débat démocratique lorsqu’on décide en raison de postures idéologiques de ne pas permettre au débat contradictoire de s’installer. Pourtant, il s’agit d’un travail qui se veut réaliste, qui n’épargne pas le gouvernement israélien et singulièrement Benjamin Netanyahu, mais comme il rappelle ce qu’est le Hamas, en l’occurrence une organisation terroriste islamiste, certains ne veulent pas entendre ni faire connaître cette réalité. D’un autre côté, ce qui se passe dans les universités françaises et certaines universités européennes est affligeant. Voir que certains étudiants sont stigmatisés parce que juifs est inacceptable. Cela est très grave.
Comment voyez-vous la fin de l’actuelle guerre de Gaza ?
Je crois que la situation ne va pas se stabiliser totalement avant une année ou deux.
Les Israéliens discutent avec certains de leurs partenaires arabes pour voir comment envisager la reconstruction de Gaza.
Les Israéliens discutent avec certains de leurs partenaires arabes pour voir comment envisager la reconstruction de Gaza. Cela dit, je crois que l’après-guerre ne sera vraiment envisagé que lorsque se terminera la guerre contre le Hezbollah et après la riposte israélienne qui pourrait viser le régime iranien avant la fin du mois d’octobre. Nous sommes loin de la fin totale de la guerre même si l’armée israélienne a détruit plus de 50% des capacités militaires des factions palestiniennes et du Hezbollah.
L’ouvrage de Mohamed Sifaoui “Hamas, Plongée au cœur du groupe terroriste”, publié par les Éditions du Rocher, est disponible en librairie et sur Amazon.
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