L’un trop libre, l’autre trop de mots, et le troisième trop maquillé

Voilà la réalité de l’Algérie d’aujourd’hui, un pays qui enferme ses artistes selon des critères flous mais redoutablement efficaces : leur identité, leur liberté, leur façon de penser ou de se montrer. Omar Aït Yahia, Boualem Sansal, Cheikh Kimo, trois visages d’une même peur du pouvoir algérien : celle de voir s’élever des voix qu’il ne peut pas contrôler.

Par Fadila Tatah (*)

Publié le 28 mars 2025

L’un trop libre, l’autre trop de mots, et le troisième trop maquillé

© Dessin Fadila Tatah

Car au fond, c’est bien de liberté d’expression qu’il s’agit. Les trois ont été condamnés pour avoir dit, écrit, montré, ou simplement incarné quelque chose que l’État refuse : une parole libre, un corps libre, une pensée libre. Ce n’est pas un hasard si en Algérie aujourd’hui, on peut être arrêté pour avoir cliqué sur « j’aime ». Un like suffit à vous envoyer en garde à vue. Et dans ce climat, danser devient un crime, chanter une provocation, écrire une menace.

Omar Aït Yahia, danseur et professeur de danse kabyle, franco-algérien, a été arrêté dès son arrivée en Algérie, le 21 avril 2024. Incarcéré à la prison de Tizi Ouzou, il a été condamné le 18 août à dix-huit mois de prison ferme et à une amende. Officiellement, les autorités lui reprochent d’avoir diffusé des vidéos et des enregistrements jugés « susceptibles de nuire à l’intérêt national », et d’être lié au MAK, un mouvement kabyle considéré comme “terroriste” par l’État algérien. Mais aucune de ces vidéos n’a été rendue publique, et rien ne permet de prouver qu’elles contenaient le moindre appel à la haine ou à la violence. En réalité, ce qu’il a fait, c’est danser, exister librement. Et cela a suffi.

Le cas de Boualem Sansal est encore plus absurde. Arrêté le 16 novembre 2024 à l’aéroport d’Alger à son retour de Paris, l’écrivain de 75 ans a été condamné le 27 mars 2025 à cinq ans de prison ferme et à une lourde amende pour “atteinte à l’intégrité du territoire national” et “intelligence avec l’ennemi”. L’ennemi, ici, c’est sa liberté de pensée, son intelligence critique, ses mots. L’espion le moins doué de la planète fait trembler le gouvernement algérien ! Ce gouvernement ne sait pas faire la différence entre un libre penseur et un espion. Ce qu’il écrit dérange ? On l’arrête. Et tant pis s’il est malade, tant pis s’il est vieux, tant pis s’il est respecté dans le monde entier. Il est aujourd’hui détenu dans une unité médicale de l’hôpital Mustapha Pacha à Alger, atteint d’un cancer. Mais peu importe. En Algérie, penser est devenu un délit.

Et puis, il y a Kimou Wahrani, surnommé Cheikh Kimo, chanteur de raï originaire d’Oran, arrêté pour avoir publié des vidéos jugées contraires aux bonnes mœurs. Ce que la police lui reproche réellement, c’est son apparence. Des paillettes, des faux cils, une attitude considérée comme trop efféminée. Peut-être un signe pour la DGSN, qui pense que les artistes trop libres, trop précis ou trop efféminés sont de vrais dangers pour la sécurité du pays. Officiellement, il est accusé de nuire à la jeunesse et de diffuser des contenus malsains sur les réseaux sociaux. En réalité, il est jugé pour ce qu’il est, pas pour ce qu’il fait. La Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) a mené une enquête, organisé son arrestation, déclenché une campagne de “lutte contre les dérives numériques”, et l’a présenté comme un danger à neutraliser. Dans ce pays, l’apparence devient un motif de condamnation.

Il y a quelques semaines, la présidence algérienne annonçait une grâce pour 2 471 détenus. Une mesure d’apaisement, disait-on. Oui, mais… il faut cocher des cases. Encore un tri, encore des critères flous, encore des injustices. Si, par malchance, le juge a été sévère, le prisonnier, pour le même délit, ne sera pas libéré. Merci monsieur le Président Tebboune. Et espérons que Boualem Sansal fera partie des heureux élus. Mais nous serons tristes pour ceux qui resteront. Le pardon du pouvoir n’est jamais une évidence. Il est conditionné, stratégique, inégal.

Pooo, il ne fait pas bon d’être franco-algérien de nos jours. Entre ceux qui sont emprisonnés pour avoir joui de la liberté d’expression que notre beau pays, la France, nous offre, maintenant, il faut faire attention à ce qu’on dit en Algérie, à propos de l’Algérie, sur l’Algérie, avec un risque qu’on nous accuse de remettre en cause l’intégrité territoriale, l’identité nationale, ou je ne sais quels autres termes ils emploient pour désigner ce qu’un individu seul, avec seulement des mots, serait capable de faire à une Nation. Telle une soupape de sécurité, la nationalité française saute et l’individu se retrouve coincé dans une situation où l’entêtement, le narcissisme, et l’orgueil sont désormais maîtres de son destin. Aujourd’hui, l’Algérie fait peur à de nombreux binationaux habitués à la liberté d’expression.

C’est dans le contexte de la séquestration de Boualem Sansal qu’une élue représentant la France – une Française d’origine syrienne, sans pays dans lequel retourner, d’après ce qu’elle nous dit – en bref, une députée gagnant une blinde grâce au contribuable. Je ne citerai pas de nom pour ne pas la gêner. Elle nous dit être amoureuse de l’Algérie qu’elle appelle « la Mecque des révolutionnaires », histoire de bien islamiser l’Algérie, alors que les Algériens sont en pleine ébullition, car la laïcité est ce qui les fait rêver – comme d’ailleurs en Iran et d’autres pays.

Donc, l’Algérie en poche, elle décide dorénavant de désigner qui a le droit de parler ou pas, et aussi, de savoir qui est assez français, qui ne l’est pas du tout, voire qui l’est vraiment et depuis combien de temps. Rassurant par ses mots toute la sphère d’extrême droite qui n’arrête pas de demander aux binationaux de choisir entre l’Algérie et la France, tous ravis qu’une élue de la LFI ait enfin compris qu’un Français depuis peu n’est pas français, ou tout simplement qu’un binational ayant d’autres pratiques religieuses que celles qu’ils voudraient qu’il ait, ces binationaux devraient aussi choisir leur religion pour gagner leur galon d’être français.

Non seulement cette élue nous inflige ses propagandes au sujet du conflit au Moyen-Orient, des propos qui finissent par faire du mal aux Juifs, mais elle réussit aussi à faire ce qu’aucun n’a réussi à faire, car notre barrière républicaine resserrait les rangs, elle précipite les binationaux dans l’angoisse. Pour elle, et d’autres, certains ne seraient pas assez français pour pouvoir jouir de ce que la France a à nous offrir, cette liberté, mais aussi la protection à laquelle nous aspirons.

Ce que ces trois cas révèlent, c’est le vrai visage d’un régime qui refuse la liberté. Un régime qui traque les libres penseurs, surveille ses enfants, emprisonne les rêveurs. La DGSN, bras armé de cette machine, flique les artistes, les influenceurs, les penseurs. En Algérie, la prison peut tomber sur vous pour une chanson, un dessin, une phrase. Même un like peut suffire. Dans ce contexte, créer est un acte de résistance. Danser, écrire, chanter, penser, c’est déjà trop.

F. T.

(*) Directrice artistique

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