LFI versus l’extrême droite : le piège !
La scène serait risible si elle n’était pas si révélatrice du mal profond qui ronge à la fois l’époque et la société française. Elle s’est jouée dans le temple même de la République, à l’Assemblée nationale, dont l’air est décidément devenu irrespirable tant il est saturé d’anathèmes, d’accusations réciproques, de provocations puériles et d’hostilités fébriles. D’un côté, des militants d’extrême droite, grimés en journalistes, accrédités sous le vernis d’une carte de presse ; de l’autre, des députés et assistants parlementaires de La France insoumise (LFI), décidés à se faire les justiciers des travées du Palais Bourbon. Au milieu, la République, chahutée, abîmée, piégée dans ce triste spectacle.
Par Mohamed Sifaoui
Publié le 11 avril 2025

Les deux camps, à force de se haïr, se nourrissent l’un l’autre.
Les premiers, membres du magazine Frontières, organe xénophobe assumé, relais propagandiste des formations d’extrême droite, s’étaient introduits à l’Assemblée nationale sous couvert d’exercer leur métier d’information. À vrai dire, ils n’étaient pas venus pour rédiger un quelconque compte rendu parlementaire, mais pour mener une opération de basse propagande : distribuer, de manière ostentatoire, à des élus du Rassemblement national ravis, un brûlot de fichage des militants d’extrême gauche. La manœuvre était grossière : ce happening aux airs de provocation de bac à sable aura suffi à déclencher l’ire des insoumis.
Les seconds, c’est-à-dire les élus et collaborateurs de LFI, s’arrogeant pour eux-mêmes la police des mœurs politiques, se sont alors précipités pour expulser manu militari ces agitateurs d’extrême droite, dans un tohu-bohu invraisemblable. En faisant cela, croyant sans doute incarner la vertu indignée, ils ont surtout créé un désordre manifeste, qui n’a échappé à personne : des invectives échangées dans les couloirs, des gestes qui frôlent l’altercation physique, et ainsi un petit aperçu d’un débat public pathétique, réduit à cela.
À droite, on fantasme le grand remplacement, l’effacement civilisationnel, la submersion migratoire. À gauche, on brandit, sous couvert de wokisme, l’étendard du décolonialisme et de la déconstruction, jusqu’à nier la moindre cohérence à la nation française. Chacun des deux bords dessine un miroir déformant de l’autre, transformant la France en une arène hystérisée, où l’on ne débat plus, mais où l’on s’affronte pour la seule victoire tribale.
Ironie du sort : les deux camps, à force de se haïr, se nourrissent l’un l’autre. Chacun joue sa partition dans cette dramaturgie mortifère où le sens même de la vie parlementaire est dissous dans la haine stérile du camp d’en face. Chacun croit s’opposer à l’autre, mais chacun, en réalité, tient le rôle que son adversaire attend de lui pour exister. Ainsi va la tenaille identitaire que décrivait avec une acuité prophétique le regretté Laurent Bouvet : l’extrême droite et l’extrême gauche s’alimentent mutuellement, s’entraînant l’une l’autre dans une spirale où l’ordre républicain est toujours le perdant. Et certains Français, atteints par une terrible paresse intellectuelle, pensent qu’il faudrait choisir entre ça et ça ! Une éventualité, fort heureusement, qu’il est peu probable de voir se matérialiser notamment lors d’une élection présidentielle.
À droite, on fantasme le grand remplacement, l’effacement civilisationnel, la submersion migratoire. À gauche, on brandit, sous couvert de wokisme, l’étendard du décolonialisme et de la déconstruction, jusqu’à nier la moindre cohérence à la nation française. Chacun des deux bords dessine un miroir déformant de l’autre, transformant la France en une arène hystérisée, où l’on ne débat plus, mais où l’on s’affronte pour la seule victoire tribale.
Ce qui s’est produit est certes un « incident » insignifiant. Mais il raconte beaucoup de choses. Dans cette séquence où l’extrême droite et ses différents parangons redoublent d’ingéniosité pour se banaliser, certains de leurs adversaires à l’extrême gauche les nourrissent et leur donnent exactement ce qu’ils attendent. À la fois naïvement, mais aussi avec beaucoup de bêtise.
Ce piège, la République s’y est laissée enfermer avec une désinvolture confondante. Car au fond, ces affrontements caricaturaux ne servent qu’à masquer une vacuité effrayante : celle de projets politiques réels, capables de répondre aux attentes profondes d’une société fracturée, inquiète, déstabilisée par la mondialisation comme par la crise de ses repères traditionnels. C’est dans cet interstice que se glisse la violence symbolique, puis physique. Le spectacle de l’Assemblée nationale transformée en champ clos de règlements de comptes idéologiques n’est pas seulement une défaite de la dignité parlementaire ; il est le symptôme avancé d’une décomposition politique plus grave encore.
Ainsi, pendant que la « tenaille identitaire » referme ses mâchoires haineuses sur la démocratie française, les forces du désordre se frottent les mains. Elles prospèrent sur la tension, vivent du fracas, s’abreuvent des peurs qu’elles attisent et attisent des peurs dont elles s’abreuvent. Et elles laissent à la République, chaque jour un peu plus exsangue, le soin de gérer l’ingouvernable. Ce qui s’est produit est certes un « incident » insignifiant. Mais il raconte beaucoup de choses. Dans cette séquence où l’extrême droite et ses différents parangons redoublent d’ingéniosité pour se banaliser, certains de leurs adversaires à l’extrême gauche les nourrissent et leur donnent exactement ce qu’ils attendent. À la fois naïvement, mais aussi avec beaucoup de bêtise.
Dans ce climat délétère, le risque est immense que la politique devienne un pugilat permanent, où les modérés, les républicains sincères, sont relégués aux marges du débat, caricaturés en complices passifs de l’un ou de l’autre camp extrémiste. C’est le péril mortel des démocraties fatiguées : sombrer dans le confort des affrontements binaires, là où il faudrait cultiver la complexité, la nuance, le débat éclairé. Pour conjurer ce danger, il est temps de réhabiliter la République adulte. Celle qui ne cède ni aux intimidations des fanatiques, ni aux surenchères des agitateurs. Celle qui rappelle que la démocratie n’est pas le règne de la brutalité idéologique, mais celui de la raison partagée. Il est temps, pour chacun de jouer son rôle afin de désamorcer la machine infernale, cette insupportable tenaille avant qu’elle ne broie ce qui reste de la concorde nationale.
Envie de lire tous les articles ?
Débloquez immédiatement tous les articles. Sans engagement.
